Lanceuse d’alerte

Wikipedia:

“Au début des années 1980, une gynécologue, Anne Cabau, lut les articles de chercheurs américains montrant que les malformations génitales étaient plus fréquentes chez les filles DES, et que cela pouvait entraîner des problèmes d’infertilité et des accidents obstétricaux graves. Observant ce type de malformations parmi ses patientes, Anne Cabau décida alors d’engager une enquête parmi les adhérentes de la Mutuelle Générale de l’Éducation Nationale (MGEN), qui adresse alors à toutes ses adhérentes un questionnaire sur le distilbène.

En 1983, un article du journal Le Monde (Dr Escoffier-Lambiotte, « Une monumentale erreur médicale ; les enfants du distilbène », Le Monde, 16 février 1983), basé sur la publication des travaux du Dr A. Cabau (« Malformations utérines chez les filles exposées au distilbène pendant leur vie embryonnaire. Conséquences sur leur fécondité » Contracept Fertil Sex, 1982 ; 10: 477-87), fit sensation.”

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Anne Cabau, Pour que l’enfant paraisse, Flammarion:

« C’est en 1971 qu’éclata la nouvelle aux Etats-Unis : un médecin, Herbst, publia sept cas de cancers du vagin décelés chez des jeunes filles nées dans la région de Boston. Or ce type de cancer est rarissime et ces sept cas découverts en trois ans dans la même ville dépassaient largement en nombre ceux signalés dans la littérature médicale mondiale. Après une enquête très sérieuse, il s’avéra que le seul point commun entre ces jeunes filles âgées de 14 à 22 ans était la prise du D.E.S. par leur mère pendant la grossesse. Il fallut cependant attendre sept mois après la parution de l’article d’Herbst pour que la FDA (Food and Drug Administration) interdise, en 1971, ce produit. Des enquêtes commencèrent et Herbst ouvrit un registre pour colliger tous les cas de cancer du vagin et du col décelés aux Etats-Unis comme à l’étranger. En France, seuls les médecins lisant régulièrement les journaux américains furent alertés, et si Herbst fut invité en 1972 à un congrès qui eut lieu à Paris, ses déclarations ne connurent aucun retentissement. Ni le laboratoire qui fabriquait le D.E.S., ni le ministère de la Santé n’informèrent le corps médical : le Distilbène® continua donc à être prescrit. En 1975, le premier cas français de cancer du vagin chez la fille d’une mère exposée au D.E.S. fut publié. Et comme s’il avait attendu ce signal pour ajouter quelque foi aux travaux américains, le laboratoire supprima dans le dictionnaire Vidal de 1976 pour le Distilbène® l’indication «  «  menaces de fausses couches ». C’est en 1977, dans l’édition suivante du Vidal, 6 ans après les Etats-Unis, que seront mentionnés la contre-indication du Distilbène® chez la femme enceinte et le risque d’apparition du cancer du vagin chez la fille. De leur côté, ni le ministère de la santé, ni le laboratoire ne mirent en garde les médecins.

Pendant ce temps, aux Etats-Unis, des études épidémiologiques furent menées sur les conséquences du D.E.S. chez les filles comme chez les garçons. On découvrit  chez les premières des anomalies bénignes du col et du vagin, puis de l’utérus et des trompes, chez les seconds des anomalies génitales. La première publication décrivant des anomalies utérines parut en 1977 : Kaufmann y montrait qu’elles sont responsables de difficultés à mener une grossesse à terme, surtout si des mesures préventives ne sont pas préconisées. Cette lecture me décida à m’intéresser aux répercussions du Distilbène® sur la fertilité des femmes. J’avais déjà observé sur des hystérographies des anomalies utérines qui ne ressemblaient à aucune autre connue et que j’ai pu rapporter, dès lors, à l’exposition in utero au D.E.S.. En outre, certaines de ces femmes étaient stériles ou avaient fait une grossesse extra-utérine. Avec l’aide de quelques collègues, je réussis à réunir neuf cas d’anomalies utérines décelées par hystérographie. Une de mes étudiantes en fit le sujet de sa thèse, et je lui demandai de recueillir différents renseignements sur les conséquences du D.E.S. et sa diffusion en France. Le laboratoire accepta de nous fournir une bibliographie importante mais refusa de communiquer ses courbes de vente. C’est alors que je commençais à réaliser que nous étions en train d’aborder un sujet tabou. A cette époque, en 1981, nous ignorions quasiment tout, en France, de l’étendue du problème : combien de femmes avaient-elles reçu du Distilbène® ? Pendant quelle période ? Quelles étaient les conséquences sur la fécondité des femmes ? Enfin, existait-il, comme aux Etats-Unis, des cancers ?

Assurant depuis plusieurs années une consultation de gynécologie au Centre médical parisien de la MGEN (Mutuelle générale de l’Education Nationale), je décidai donc, en accord avec la direction et mes confères gynécologues, d’entreprendre une enquête par le biais du bulletin de cette Mutuelle, tiré à un million d’exemplaires. Mon but n’était pas de mener une enquête épidémiologique, mais seulement d’essayer de savoir si les filles exposées in utero, et en âge de procréer, avaient ou non rencontré des difficultés pur avoir un enfant.

Jusque-là, en France, on avait minimisé le problème : on  laissait entendre que les doses administrées chez nous, plus faibles, n’avaient pas les mêmes conséquences que celles prescrites aux Etats-Unis. Et lors de notre toute première enquête, nous avions écrit que si le Distilbène® avait été largement prescrit dans notre pays entre 1950 et 1970, il avait été abandonné en 1971. Or quelle ne fut pas notre surprise d’apprendre, à travers les 850 réponses obtenues par le biais de la MGEN, que nombre de femmes en avaient pris jusqu’en 1977 et que la mention « contre-indication » n’était apparue que cette année-là dans le Vidal ! Par ailleurs, nous découvrions que 75% d’entre elles ayant été traitées entre 1963 et 1973, leurs filles, âgées de 9 à 19 ans, n’étaient pas encore en âge de vouloir des enfants. Une centaine d’entre elles seulement avaient plus de 20 ans, et parmi elles un très petit nombre avaient déjà été enceintes. Il nus était donc impossible – nous étions en 1982 – d’évaluer en France les conséquences du D.E.S. sur la reproduction et de savoir si elles seraient aussi sérieuses que de l’autre côté de l’Atlantique. Mais les lettres que les mères nous ont adressées lors de cette enquête nous ont permis de mesurer à quel pont ce sujet restait tabou dans le milieu médical. Nous apprenions que certains médecins refusaient de donner toute information à ces femmes qui le leur demandaient, détruisaient leurs dossiers, ou encore affirmaient que le D.E.S. n’avait aucune conséquence néfaste !

En fait, la plupart d’entre eux ne voulaient pas admettre qu’un traitement jugé quelques années plus tôt utile et inoffensif puisse avoir des conséquences encore incomplètement connues. Pourtant il eût été logique que les praticiens informent directement ces mères alors que leurs filles n’avaient encore que 10 à 15 ans, plutôt que d’attendre encore une ou deux décennies au risque de ne plus pouvoir recueillir le moindre renseignement et de rester dans l’incertitude sur un éventuel traitement. Une campagne de presse, notamment un article du Monde en 1983, eut toutefois des effets très positifs, non seulement auprès des familles concernées, enfin averties, mais aussi auprès des médecins laissés jusqu’à cette date dans une ignorance quasi-totale des conséquences du D.E.S..  Sous la pression des médias, le ministère de la Santé commença alors à s’intéresser à la question et transmit aux médecins des informations. Nous eûmes enfin connaissance des chiffres de vente du laboratoire qui commercialisait le Distilbène®, à partir desquels il nous fut possible d’estimer à 200 000 environ le nombre de femmes traitées entre 1950 et 1977. Nous avons aussi appris qu’une dizaine de cancers du vagin s’étaient déclarés qui nous décidèrent à juger indispensable un dépistage chez toutes les jeunes filles concernées, même si le risque paraissait très faible. A la même époque, existait aux Etats-Unis, au Canada et aux Pays-Bas, une association de consommateurs (DES Action) qui se chargeait d’éditer des brochures – d’excellente qualité- destinées à informer les familles concernées. Mais il fallut attendre 1986 pour qu’une telle association soit fondée ne France. Elle se mobilisa contre l’absence d’information et l’inertie des pouvoirs publics, et réussit à susciter une réaction de la Direction générale de la santé que nous, médecins, n’aurions probablement jamais pu obtenir.

En 1989, le ministre de la Santé a adressé aux médecins généralistes et spécialistes concernés une brochure d’information sur les conséquences du Distilbène®, la plus importante complication iatrogène de l’histoire de la médecine. »

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La lettre « Hommage au Dr Anne Cabau » Réseau DES France

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Lettre n°3 DES France  (septembre 2007) :

« En France, le Dr Anne Cabau reste l’une des pionnières à s’être impliquée dans les conséquences de l’exposition au  D.E.S.. Elle répond à nos nombreuses questions, tant sur les raisons que sur l’histoire de son engagement… 

Pouvez-vous nous parler de votre consultation à St Vincent-de-Paul ? Comment l’avez-vous ouverte ? Pourquoi l’arrêtez-vous ?

 Certains membres du Conseil Scientifique créé par Réseau D.E.S. France exerçaient à l’hôpital St Vincent de Paul. Cela m’a motivée pour ouvrir cette consultation, à la demande conjointe du Professeur Tournaire et de l’association, et dans une ambiance chaleureuse. Ainsi, je pouvais bénéficier à la fois des conseils du Chef de Service Michel Tournaire pour des problèmes délicats concernant la grossesse et de ceux du Dr Sylvie Epelboin à la tête du département de fécondation in vitro pour les problèmes de stérilité et d’accidents de grossesse.

Au fil des ans, j’ai reçu de moins en moins de demandes, ce qui n’a rien de surprenant puisque le D.E.S. a cessé d’être prescrit en 1977 et que le nombre de femmes exposées après 1973 est moins élevé. En partant, je ne les abandonne pas puisque le Pr Michel Tournaire assurera cette consultation spécialisée, et le Dr Sylvie Epelboin continuera à recevoir celles qui ont des problèmes de stérilité. 

Vous n’étiez pas la seule gynécologue française à détenir des informations quant aux conséquences du D.E.S sur la reproduction, tôt dans les années 1980. Pourtant, vous avez eu une réaction différente de celle de la large majorité de vos confrères. Pourquoi ?

Je ne peux répondre à cette question qu’il faudrait poser à mes confrères. Il est vrai que j’avais une consultation réservée aux couples stériles deux fois par semaine à l’hôpital Antoine Béclère de Clamart que le chef de service, le Professeur Papiernik m’avait confiée dès l’ouverture de son service en 1973. J’avais aussi passé un an et demi aux Etats-Unis à faire de la recherche pendant mon internat et dès mon retour en France je m’étais abonnée à la revue américaine « Fertility and Sterility » dans laquelle parurent les premiers articles concernant les malformations utérines et la stérilité.

Qu’est-ce qui vous a poussée à vous mobiliser comme vous l’avez fait, alors qu’il eut été plus facile, somme toute, pour l’harmonie de vos relations avec vos confrères, de faire comme eux (déni ou minimisation) ?

Pour être honnête, je vous dirai que je n’ai jamais imaginé l’ampleur des réactions dans les médias à la suite de l’article du Dr Escoffier Lambiotte en 1983 dans « Le Monde ». Je l’avais rencontrée à un congrès et lorsque j’ai abordé avec elle les problèmes liés au D.E.S. elle m’a aussitôt prévenue qu’il n’était pas question d’écrire sur les cancers car elle l’avait fait une fois et cela lui avait valu des réactions très violentes. Je l’ai rassurée en lui disant que je souhaitais l’informer des problèmes concernant la reproduction et elle m’a dit de lui adresser mes articles. Malheureusement, comme le font souvent les journalistes, elle ne m’a pas soumis son texte avant de le publier. Après cela, j’ai été plus méfiante car les médias peuvent vous faire dire n’importe quoi.

Pourquoi avez-vous voulu dire la vérité alors que l’ensemble du corps médical ne souhaitait pas qu’on parle de ce sujet ?

Je me suis posée la question depuis, une des réponses possibles à cette question est la suivante : mon arrière-grand-père s’appelait Mathieu Dreyfus, il a été choisi par sa famille pour défendre son frère Alfred Dreyfus, et a consacré une partie de sa vie à faire éclater la « Vérité ». Ma mère a été élevée par son grand-père car son père était mort peu après sa naissance en 1914. Elle a baigné dans l’affaire Dreyfus toute son enfance puis a été en contact avec de nombreux historiens de l’Affaire à la fin de sa vie. Donc, pour moi, faire connaître la « Vérité » est peut-être une tradition familiale… »

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“Il a fallu des années d’études et de procès pour établir le lien entre cancer et Distilbène, et le laboratoire UCB Pharma, qui l’a commercialisé, épuise les victimes qui osent porter plainte, à coups d’appel et avec des bataillons d’avocats. Complexité et durée du problème, force du corporatisme médical, et aussi une certaine pudeur quant aux effets sur nos corps : les victimes ont tous et toutes été confrontés à la difficulté de RACONTER le distilbène. Quand les associations ont commencé à donner l’alerte, l’époque était aussi moins mûre pour protester contre ce type de scandale, malgré celui du thalidomide quelques années auparavant. Les pouvoirs publics également n’étaient pas à l’écoute. Et ce qu’on appelle, d’un nom assez alambiqué d’ailleurs, la pharmacovigilance, l’idée d’un tel réseau de surveillance aurait révulsé pas mal de mandarins. Quand le docteur Anne Cabau a voulu, en solitaire, avertir contre le distilbène dès le début des années 80, elle a été ostracisée par une partie de la profession.”

Marie Darrieussecq

Les filles distilbènes